Mesdames, le crâne rasé, c’est mieux pour les petites filles
Raser les cheveux de sa fille relève d’un vrai casse-tête chinois pour la femme. Seulement 3 ou 4 mois après sa naissance, la fille doit déjà supporter de se faire tirer les cheveux avec des chichis pour être « belle » ou pour « ne pas ressembler à un garçon ». Ce sont les raisons principales que les femmes autour de moi avancent pour justifier cet état de choses. Je m’entends d’ailleurs constamment dire que je suis un « tyran » ou que je mets ma fille « mal à l’aise » parce que j’ai décidé de lui raser les cheveux.
Les cheveux longs et les tresses sont le fruit des stéréotypes
Depuis des siècles, les Hommes ont toujours attaché une signification précise à la chevelure de la femme. Ils sont parvenus à construire autour de la chevelure et des tresses une idée de féminité. Une femme qui a les cheveux courts n’est pas féminine, et par conséquent n’est pas désirable. La société a ainsi réussi à voir dans les cheveux des femmes un signe de sexualité. Relâcher des cheveux longtemps attachés envoie un signal aux hommes pour leur dire qu’on est désormais libre. Passer ses droits dans ses cheveux pendant qu’on s’adresse à un homme est perçu comme un geste de parade nuptiale. Je comprends que la femme veuille avoir de longs cheveux pour être désirable. Cependant, je ne comprends pas pourquoi elle souhaite la même chose pour sa petite fille. A cette inquiétude, une mère que j’ai interrogée m’a rassurée que c’était simplement pour que sa fille soit belle.
Que signifie le mot « beauté » pour un bébé de quelques mois ?
Si les femmes tressent leurs filles pour qu’elles soient belles, les fillettes ont-elles la capacité de voir la différence? Pour qui est cette soi-disant beauté? Quid du souhait de la différencier du garçon? Les mamans sont particulièrement obnubilées par le souci de différencier la fille du garçon, ceci dès la naissance. La société l’a très bien compris et les aide dans ce sens. En plus du style vestimentaire censé établir la différence, il a été décidé que les cheveux des filles seraient tressés. Ce qui me gène c’est l’âge auquel la fille commence à subir cette douleur car, il faut le dire, les tresses font mal. Moi même j’ai jamais réussi à transcender cette douleur.
Tresser un bébé de 4 mois comme je vois ici au Cameroun doit être traumatisant pour l’enfant. C’est la raison pour laquelle elle pleure de toutes ses forces, à défaut de s’exprimer par des mots. La maman fait très souvent la sourde oreille et fouette l’enfant, l’accusant de ne pas vouloir être « belle ». C’est insensé dans la mesure où une fillette ne connait pas la mesure de la beauté. Elle a tout juste l’âge de manger, boire, dormir, se faire changer ses couches et soigner. En réalité, les femmes refusent juste de reconnaître qu’elles recherchent la beauté en leurs filles pour réaliser leur rêve de rester belles malgré des années de mariage et les multiples maternités. « Je sais que je ne suis plus belle. Ma fille le sera pour moi ».
Que faut-il associer au mot « beauté »?
Avant leur scolarisation vers l’âge de trois ans, les enfants reçoivent toute leur éducation des parents à la maison. C’est donc à ces derniers que revient en premier la tâche de leur expliquer ce qu’est la beauté. Si après l’avoir tressé, on répète à la fille qu’elle est belle, elle grandira en pensant qu’on n’est belle qu’avec les cheveux tressés. Par conséquent, elle ne supportera plus par la suite d’avoir les cheveux rasés. C’est ce qui explique le comportement de certaines élèves dans des établissements bilingues où il faut se raser. Elles jouent au jeu du chat et de la souris, jonglant avec les surveillants et les enseignants. Ces filles ne supportent pas de se voir sans les cheveux et préfèrent être mises à la porte de l’établissement tous les jours, plutôt que de se raser convenablement.
La plupart des femmes donnent l’impression que tresser les cheveux de la petite fille est un impératif catégorique, au même titre que lui percer les oreilles. Alors que l‘enfant doit savoir qu’elle est belle, que tout le monde autour d’elle est beau, sans condition. Elle doit grandir dans l’amour de son image, du reflet que le miroir lui renvoie. La fille doit grandir avec l’amour de l’autre, peu important son aspect. Elle se sentira d’autant plus à l’aise avec son crâne rasé au milieu de ses copines tressées. C’est la promesse que je me suis faite avec ma fille. Je continue de tenir bon devant les accusations de mes voisines d’être un tyran.
Non, une mère qui rase sa fille n’est pas un tyran
Le fait pour une femme de se raser a souvent été considéré comme un sacrifice. Au Cameroun, comme ailleurs en Afrique, les femmes se rasent pour marquer la souffrance causée par la mort d’un proche. En outre, lorsqu’un parent veut punir sa fille trop entreprenante avec les garçons, il lui rase de force les cheveux. Par ce geste, il lui enlève sa féminité, et par ricochet, son charme sexuel. Aucun garçon n’osera plus la contempler, en est-il convaincu. C’est en cela que je suis vue comme une mère trop sévère. On me demande tout le temps pourquoi je punie ainsi ma fille.
J’apprends à ma fille à appréhender son look avec humour. Lorsqu’elle me demande pourquoi je la rase, alors que moi-même j’ai des tresses, je lui explique que les petites filles ne se tressent pas. Je la rassure en lui disant que quand elle sera grande comme moi, elle pourra se faire toutes les coiffures qu’elle voudra. Lorsqu’elle me demande pourquoi certaines élèves de sa classe ont des tresses, je lui réponds que leurs mamans sont têtues et que la maîtresse va les fouetter (chez nous, on fait tout entrer dans le cerveau de nos enfants par la promesse du fouet).
Avec le crâne rasé, on gagne en temps et en propreté
Les mères se plaignent régulièrement de ne pas avoir assez de temps pour tout gérer. Paradoxalement, elles passent plusieurs heures du week-end à faire à leurs fillettes des tresses aussi compliquées qu’inimaginables, parfois collées au crâne. Ces heures peuvent pourtant être mises à profit pour des activités ludiques. L’enfant pourrait découvrir de nouveaux animaux chaque week-end dans un zoo. Elle pourrait déjà terminer ses exercices à domicile. Ce qui n’est pas le cas dans environ 80 % des cas. Autrement dit, prenez une école quelconque à Yaoundé, sélectionnez 100 filles qui ont des tresses, feuilletez leurs cahiers d’exercices à domicile et vous verrez que 80 d’entre elles ne les ont pas terminé.
Certaines mères ne parviennent carrément pas à tresser leurs filles en tout un week-end. Le lundi sur le chemin de l’école, on voit des fillettes avec des cheveux si sales que j’en ai la chair de poule. Pour toutes ces raisons, je préfère le crâne rasé. Au moins c’est propre. Le cuir chevelu est mieux entretenu. La fillette est à l’abri de nombreuses maladies du cuir chevelu telles que les pellicules et la teigne.
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