Rencontres sur le chemin de l’école au Cameroun
Accompagner son enfant à pieds et jusqu’à sa salle de classe fait partie du quotidien de la mère au foyer, près de 7 mois sur 12. Ce qui au départ est une corvée devient peu à peu une joie grâce aux sourires et aux larmes qu’on rencontre sur le chemin de l’école. Ça devient finalement un moyen parmi plusieurs autres de s’aérer les idées avant de rentrer dans ses casseroles et ses couches.
Au Cameroun, le chemin qui sépare ma résidence de l’établissement scolaire où ma fille de 4 ans est inscrite est long d’à peu près 2 km de bitume délabrée. Afin que le chemin lui paraisse plus court, nous l’abordons en chansons parmi lesquelles le célèbre refrain : « L’école maternelle est une école comme ça. Avant 8 heures, tout le monde est déjà là. Vive l’école maternelle! C’est une école comme ça!« ….. jusqu’à ce que j’arrête subitement de chanter. Un motocycliste, « benskineur » comme on le dit au Cameroun, vient de renverser un jeune écolier et est parti sans se retourner.
Laisser son enfant aller seul à l’école au Cameroun
La première chose que je me demande à l’instant T est : comment peut-on laisser un enfant de 4 ans aller tout seul à l’école ? Puis, je me souviens de ma voisine qui a un enfant de 3 ans en maternelle, un autre de 18 mois qui nécessite toute son attention et, comme si ça ne suffisait pas, un bébé de 2 mois. Où peut-elle dans ces conditions trouver le temps d’accompagner l’enfant jusqu’à l’école à 2 km et à pieds ? Heureusement pour l’enfant accidenté : plus de peur que de mal.
Il poursuit en pleurant le chemin de l’école. Il n’a pas le choix. Retourner à la maison est suicidaire car il est certain d’essuyer une sévère bastonnade et une remontrance à la hauteur de la colère de sa mère. Celle-ci est généralement plus animée par le souci de faire de son fils un homme capable de supporter des douleurs, y compris celle d’un « petit » accident, plutôt que de le protéger en l’accompagnant à l’école.

Une fillette coincée dans une rigole
Ma fille et moi continuons d’arpenter la route en chantant lorsque nous sommes à nouveau interrompues par les cris d’une écolière qui vient de coincer le pied entre 2 dalles d’une rigole, de quoi mobiliser plusieurs passants. C’est la fille de 7 ans de ma voisine; je suis moralement obligée d’attendre de l’aider. On tente tout, absolument tout. Jusqu’à ce qu’un passant émette l’idée de verser de l’huile d’arachide sur le pied en question, afin de le permettre de glisser et de sortir du trou. L’astuce réussit et par chance, la petite a juste quelques égratignures. Toujours rien de grave.
Nous continuons notre marche jusqu’à commencer à hâter le pas. Nous sommes désormais en retard. Nous rencontrons désormais des personnes qui sont plus pressées les unes que les autres. Une dame attire particulièrement mon attention, et ce, plusieurs fois par semaine. Elle a un nourrisson attaché au dos, monte difficilement la colline qui mène à l’établissement scolaire. Elle traîne littéralement son fils de 4 ans par la peau des fesses pour l’emmener à l’école. Pour satisfaire ma curiosité, elle m’a confié un jour que son fils est très capricieux et cherche toujours une raison pour ne pas aller passer quelques heures loin de sa mère. Lorsqu’il n’est pas malade en simulant une fièvre, il ne veut pas des beignets de farine qu’on lui met dans le sac, ou alors il préfère le biscuit et le bonbon en lieu et place du pain.
Tout le monde est en retard
Lorsqu’on est en retard justement, tout le monde est en retard. La vendeuse de pain accompagné de haricot frit en guise de tartine est aussi en retard dans le service. Elle doit désormais se diviser pour pouvoir servir tous ces parents et élèves qui s’agglutinent devant elle. Un clash éclate alors presque tous les matins devant elle. Entre cette dernière et un élève qui jure lui avoir remis de l’argent et n’avoir pas encore été servi, on ne parvient jamais à connaître le fin mot de l’histoire.

Dans cet empressement des dernières minutes avant le début des cours, plusieurs hommes camerounais m’arrachent à coup sûr le sourire. Les hommes qui accompagnent leurs enfants à l’école à pieds ne les laissent pas marcher sur la boue des saisons de pluie ou la poussière des saisons sèches. Ils portent leurs enfants sur leurs cous et bavardent tout au long du chemin. L’enfant ne touche le sol que lorsque l’envie de pisser que l’homme traîne depuis sa maison parce qu’il est déjà en retard le dépasse finalement et le pousse à diriger ses bijoux de famille vers un caniveau et à se soulager fièrement.
Bien que tout le monde se presse, on rencontre aussi des personnes qui n’ont pas l’air d’en avoir conscience, comme cette dame que je trouve pratiquement tous les jours entrain de doucher sa petite fille dans la cour de sa maison. Elle vit à 50 mètres de l’établissement et estime par conséquent ne pas avoir besoin de se presser plus que çà.
Dès que je laisse ma fille sous la surveillance de son institutrice et que je dois retourner m’occuper de ses frères cadets, j’ai plus intérêt à me dépêcher. Cependant, je suis souvent perturbée par ces jeunes hommes aux volants de leurs voitures (on dit chez nous que les femmes sont attirées par l’odeur du carburant). Très perturbée par un journaliste résident dans le coin (il se reconnaîtra à la lecture de ce billet), toujours sapé comme jamais, à qui je jette un regard coupable,qui semble lui dire : « viens et enlève-moi! ». Un regard qu’il me rend volontiers, avec un large sourire. Cet homme que je prie à chaque fois de rencontrer sur le chemin de l’école.
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