Ebéni ou l’histoire extraordinaire d’un « père au foyer » dévoué
Contrairement à la norme en Afrique, de nombreux pères restent au foyer pour s’occuper des enfants lorsque la sécurité et la santé de ceux-ci en dépendent.
La plupart de nos sociétés sont machistes. C’est la mère qui reste au foyer pour tenir la maison et s’occuper des enfants. C’est une logique chez nous. Et la femme le sait aussi. A un point tel que, même si le travail de la femme est mieux rémunéré que celui de son mari (ce qui est d’abord difficilement acceptable), c’est elle qui arrêtera de travailler pour s’occuper des enfants. La question ne se pose même pas, pour des couples qui ont une nounou et le jour où celle-ci s’absente, de savoir qui du mari ou de la femme reste s’occuper des enfants. Cependant, on observe de plus en plus des cas où le mari se porte volontaire pour rester s’occuper de ses enfants, surtout lorsqu’il comprend qu’il y va de leur intérêt. C’est l’histoire de mon voisin Ebéni, chauffeur de taxi, qui ne cesse de m’émouvoir.
Ebénézer a choisi de s’occuper lui-même de ses enfants
Ebéni est un homme qui a la trentaine, s’est marié assez jeune et est père de quatre enfants de 1 à 10 ans. Au début de leur histoire, m’a-t-il confié, son épouse était d’accord pour être une mère au foyer. Ils avaient estimé qu’elle n’avait pas besoin de rapporter de l’argent au couple, car le gagne pain d’Ebeni lui permettait de prendre tout en charge. Tout s’est bien passé pendant 2 ans. Puis un jour, son épouse, qui occupait son temps libre sur internet et dans les forums de discussions sur les droits de la femme, a déclaré qu’elle en avait assez d’être toujours enfermée, comme un « animal en cage ». Avec de l’argent donné par son père, elle acheta un fonds de commerce et se mit à vendre des vêtements pour femmes. Ebéni est sommé par son épouse de trouver une nounou pour ses enfants. Incapable de raisonner son épouse, il emploie une nounou.
Tous les jours à son retour du travail, il était interpellé par ses voisins sur les mauvais traitements que la nounou infligeait à son enfant. Il décida alors de la renvoyer. Au même moment, son épouse attendait leur 2ème enfant. Il cru alors que cette naissance là allait adoucir sa femme. Mais, rien à faire ! Elle retourne à son commerce 2 semaines seulement après la naissance du bébé. Puisque Ebéni refusait d’engager une autre nounou, il nous arrivait d’entendre son bébé pleurer dans la maison fermée pendant plusieurs heures avant de s’endormir de fatigue et de faim. Les 2 parents vaquaient à leurs occupations hors du domicile. Le bras de fer qui s’était installé dans le couple faillit coûter la vie du bébé. Devant les remontrances des voisins, le mari prit alors une décision des plus étonnantes dans notre contexte africain : il s’occupera désormais lui-même de ses enfants.
Pour un Africain, rester au foyer est un aveu de faiblesse… pas pour Ebéni !
Lorsque Ebéni décide de s’occuper lui-même de ses enfants, le couple en a 2 et la dernière de 6 mois est diagnostiquée mal nourrie. Elle est pâle, a un poids en-dessous de la moyenne, son ventre est ballonné, ses cheveux rougissent et tombent. Il devient pour son bébé un infirmier à domicile et s’efforce de la faire reprendre des forces. Bientôt autour de lui, les questions commencent à fuser et des voix de désapprobation s’élèvent.
« Pourquoi permets-tu à ta femme de travailler (la question naturelle posée au mari d’une femme qui a un boulot chez nous) ? Pourquoi tu ne divorces pas et ne te remaries pas avec une femme qui te respectera ? Tu n’es pas un homme. »
Ebéni est fier de sa décision et le fait savoir à tous. Curieuse, je lui ai posé ces mêmes questions. Sa réponse a été à la hauteur de la grandeur de l’homme. Ayant constaté qu’il ne pouvait plus rien pour son couple, il ne se soucie désormais plus que de ses enfants. Son épouse et lui continuent de vivre ensemble. Leur relation se limite au sexe, comme c’est le cas dans de nombreux couples africains. On ne divorce pas aussi facilement chez nous hein. Un jour, alors que son épouse avait quitté la maison en guise de protestation aux brimades de son mari, sa fille aînée lui posa des questions étranges, comme : « papa, maman est morte ? ». C’est ce qui le décida à rester avec sa femme et continuer d’agrandir sa famille. Aujourd’hui, ils ont 4 enfants, tous nés dans des tensions incessantes, mais au moins nés de la même mère, selon le souhait d’Ebéni.
Ebéni a fini par avoir des habitudes de femme
Son quotidien ressemble au mien, à la seule différence que sa conjointe ne le réveille pas à 5 heures du matin pour faire l’amour. Il organise ses travaux ménagers au gré des humeurs de ses enfants. Il les réveille tôt, les prépare pour l’école, prépare leur petit-déjeuner, les accompagne à l’école. Revenu de l’établissement scolaire de ses enfants, il fait la lessive, la cuisine, le ménage, la vaisselle. Il va chercher ses enfants à l’école à 13 heures et vient leur donner à manger. Il les fait siester, fait avec eux leurs exercices à domicile. Son temps libre, il le passe à se distraire au carrefour du coin avec sa dernière fille d’1 an dans les bras. Il prend une bière à l’échoppe du coin, en évitant les taquineries des voisins qui l’accusent de souiller la gent masculine.
Le plus drôle c’est lorsque nous, les femmes, nous nous retrouvons à discuter avec lui les prix de vivres frais au marché. Il a tellement acheté d’ingrédients pour qu’il a appris à ne plus se faire avoir par les vendeuses qui ont l’habitude de donner un prix plus élevé aux hommes qui viennent effectuer des achats. « Ne vois pas comme je suis un homme pour augmenter le prix hein ! Le macabo là mérite 500 francs ». Certaines vendeuses en viennent à lui demander quel genre d’homme il est, tellement elles savent que c’est un rôle de femme.
Avec quel argent nourrit-il ses enfants, s’il a choisi de ne pas travailler ?
Ebéni dit lui-même qu’il a la chance d’être encore jeune et d’être déjà papa des quatre enfants qu’il a toujours souhaité avoir. Il a pu s’acheter deux voitures mutées en taxis de ville du temps où il travaillait. Il conduisait l’une d’elles et avait confié la 2ème à son frère cadet. Depuis sa douloureuse décision de devenir « père au foyer », il a confié le taxi qu’il conduisait à un ami. De ses 2 voitures, il perçoit une recette de 20 000 francs cfa tous les jours. Il a choisi de se contenter de ce montant jusqu’à ce qu’il ressente au plus profond de lui qu’il peut les confier à une nounou.
Et au cas où vous vous demandez à quoi sert l’argent de son épouse, ce pour quoi elle s’est battue bec et ongles, eh bien il lui sert à se faire belle et désirable, à entretenir sa féminité, sa jeunesse et son charisme. Elle devient peu à peu une femme d’affaires respectée des autres femmes de l’association. Peu importe le prix à payer pour rester au top, elle aime être le centre de l’attention. C’est son choix et elle y tient
A la place d’Ebéni, quelles décisions prendriez-vous? Quels seraient vos choix de vie?
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